lundi 26 janvier 2015

Sumisión



Avant toute chose, je me dois de commencer par dire clairement que non, je n’ai pas lu le dernier roman de Michel Houellebecq. Je ne l’ai pas lu, et au risque de choquer certaines têtes bien faites (et bien pensantes) je n’ai nullement l’intention de gaspiller mon temps (et encore moins l’argent que je n’ai pas) dans une telle lecture. J’estime, en toute humilité, que lorsqu’on a à ce point besoin de faire un travail thérapeutique sur soi tel que M. Houellebecq, le principe analytique –sans parler de la décence- voudrait que l’on paye un professionnel qualifié pour ce faire. Au lieu de quoi, il préfère coucher sur papier (parfois avec un certain talent, certes) ses angoisses, dysfonctionnements personnels, sociaux et ce sont ses lecteurs qui payent pour « son » travail sur lui-même.

Je vais essayer de ne pas perdre mon fil, car « son » travail, en particulier en ce qui concerne son rapport avec les femmes laisse pour le moins à désirer. En partant donc de cet état de fait, je n’ai aucunement l’intention de me livrer à une quelconque critique de son dernier ouvrage. Toutefois, j’ai suffisamment lu de critiques et autres présentations pour savoir quel est son propos.

Que vous ayez fait un petit séjour sur mars entre la fin 2014 et le début 2015, juste avant les attentats qui ont touché la France ou que vous soyez simplement allergique aux « évènements » littéraires en général et ceux qui concernent un écrivain en quête effrénée de célébrité en particulier, si vous avez raté le propos de la « Soumission » par Houellebecq, en voici un bref résumé.

Le roman se veut une tentative de politique-fiction. Il présente une France, post présidentielles de 2017, où nous assistons à l’avènement d’un président de confession musulmane issu d’un parti islamiste « modéré ». Il rend possible ce scénario en imaginant une alliance entre les principaux partis de gauche et de droite pour faire barrage à la montée inéluctable du Front National. Et voilà la France transformée en république islamique. Voilà l’inextricable problématique du chômage résolue grâce à la soumission des femmes qui regagnent les foyers portant le stigmate ostentatoire de cette soumission : le voile. Voilà une société, incarnée par un personnage principal qui cède individuellement, mais apparaît avant tout comme un miroir grossissant d’une société entière qui finit par baisser les bras et se soumettre, non pas à une croyance religieuse rognant allègrement sur des lois séculaires et des valeurs laïques longuement construites et parfois mêmes arrachées à la vindicte générale. Non, il s’agit bel et bien d’une population qui cède, puis se soumet à la passivité.

Et voilà ce qui personnellement m’intéresse dans un tel propos. Car entendu ainsi, le propos de M. Houellebecq n’a absolument rien d’une politique fiction. Il suffit de relever les yeux et de regarder par-delà quelques frontières quelque peu oubliées pour constater que de telles marques de soumission existent déjà et ne concernent pas forcément des sociétés phagocytées, asservies et soumises par des instrumentalisations politiques de la religion, mais par la passivité.

Et là, je dois avouer que le propos de « Soumission » m’a irrémédiablement fait penser au Venezuela.

Le Venezuela : un pays qui s’est soumis de lui-même à un mirage « révolutionnaire » porté, promis et incarné par feu Hugo Chavez. L’espoir et les attentes étaient là et ils étaient immenses et justifiés, lorsqu’en 1998 Chavez accède pour la première fois au pouvoir par les urnes. Ils étaient toujours aussi vivaces lors de l’adoption d’une nouvelle constitution en 2000. Mais ils ont depuis longtemps été trahis par sa quête toujours plus insatiable de pouvoir.

Pourtant, Hugo Chavez incarnait littéralement une « révolution » sociale et politique, dont ce pays avait tant besoin. Non pas celle qu’il a si bien vendu à bon nombre de vénézuéliens, dans ses discours interminables parsemés juste ce qu’il faut de justice sociale et de réduction des inégalités. Il a incarné à merveille le personnage qui grimpe du plus bas au plus haut de l’échelle en dépit de ses origines miséreuses, de ton teint basané et de son langage plus que « fleuri ». Il a été sa première et principale vitrine de revanche sociale pour tous ceux que le « développement » du pays avait sciemment laissés sur le bord de la route.

Il lui fallut à peine une décennie pour anéantir un système politique, déjà corrompu et malade, pour instaurer en lieu et place un règne populiste et autoritaire basé sur un socle de plus en plus solide de soumission. Premièrement, de soumission de toute cette large partie de la population qui n’avait jamais connu autre chose que la marginalité grâce à un « programme » simple et simpliste : « croyez en moi et je pourvoirai ». Voilà qui rappelle inévitablement un autre discours bien rôdé depuis quelques millénaires déjà… Et je ne pense pas seulement au loto ! Il les a soumis en leur confisquant même leur identité : « je suis le Peuple et le Peuple est Chavez ».

Puis, il a entrepris et parvenu à soumettre le reste de la population à grands renforts d’humiliations quotidiennes, de menaces à peine voilés, de vengeances mesquines. Il lui fallut à peine une décennie pour briser la volonté et la capacité de résistance d’une population qui n’avait pas souvent eu l’occasion de s’en servir, ayant pendant longtemps fait figure d’îlot « démocratique » durant les heures les plus sombres de la région.

Aujourd’hui, je regarde le Venezuela et la passivité malheureuse d’une population qui, d’un côté attend toujours l’arrivée de son ticket gagnant et le retour de son messie. De l’autre, le reste, qui ne trouve plus la ressource morale, faute de toute autre ressource, pour résister sainement et se soulever contre un système toujours autant gangrené par la corruption, même si désormais elle en bénéficie à une nouvelle caste. Un système qui a brisé le lien social et la profonde altérité qui étaient des marqueurs sociaux essentiels dans cette société.

Avant le Chavisme, le Venezuela était un pays confronté à d’importantes difficultés sociales et politiques, cela est indéniable. Mais quel pays ne l’est pas ? Il avait devant lui des défis immenses de réduction des inégalités, de justice sociale et d’ouverture indispensable d’un paysage politique cloisonné par le pacte qui lui avait permis de retrouver le chemin de la démocratie à la fin des années 50. Mais au lieu de s’attaquer véritablement à ces problèmes structurels et profonds, le Chavisme n’est parvenu qu’à creuser davantage le fossé entre les citoyens en érigeant la polarisation des mentalités, la revanche et la suspicion au rang de culte national. Il n’est parvenu qu’à isoler et à faire régresser un pays qui avait tous les atouts et les ressources nécessaires pour jouer un rôle central et fédérateur dans la région. Il n’est parvenu qu’à casser la volonté de toute une population qui lui est désormais soumise, soit par une croyance aveugle dans des promesses aussi simplistes que populistes, soit par défaut et par défaitisme.

Il y a seulement quelques jours, questionné au sujet de la dégringolade vertigineuse de la rente pétrolière qui soutient l’ombre de ce que fut ce pays et continue de garantir les voies tout à fait pénétrables des poches pleines de la caste au pouvoir, la dernière saillie du dauphin, appliquant à la lettre le programme-testament d’autodestruction légué par Chavez, il a répondu : « Dieu pourvoira »… Le pire d’une telle déclaration ? La certitude que bon nombre de vénézuéliens (pro ou anti-chavistes) pensent la même chose depuis longtemps. A trop prier pour obtenir un salut divin ou un homme providentiel, c’est la volonté que l’on détruit et la passivité que l’on nourrit. Et voilà un peuple qui se soumet, en attendant Godot.

Je tiens à garder à l’esprit que le XXIème siècle n’est pas religieux. Le XXIème siècle est celui de la confiscation du sentiment religieux à des fins on ne peut plus temporelles, autrement dit, politiques. Mais, en a-t-il jamais été autrement ? Force est de constater qu’après plus de 15 ans de Chavisme, la dignité des vénézuéliens a été largement érodée. Mais aujourd’hui je ne peux que constater également, comment cette même population prend une part de plus en plus active dans cette atteinte à sa propre dignité, en se résignant et en déposant leur avenir dans l’hypothétique réponse à une prière. Une attitude qui finit par en déresponsabiliser plus d’un. Voilà pour moi la soumission dans toute sa splendeur.

D’aucuns souligneront, à très juste triste, que ce que je viens de décrire à très grands traits pourrait et peut s’appliquer à bien d’autres latitudes. Et ils auront parfaitement raison.

Mais tel est justement mon propos. Si M. Houellebecq a bien écrit une œuvre de « fiction », il ne s’agit aucunement de politique-fiction. Le scénario qu’il a transposé sur une France défigurée par ses fantasmes de défaitisme et ses obsessions d’impureté culturelle, religieuse et ethnique (et encore une fois je garderai pour moi la révolte que suscite en moi sa névrose à l’encontre des femmes) est, hélas, une triste réalité dans de nombreuses contrées du monde. Et le Venezuela n’en est qu’un exemple particulièrement affligeant.

Si son travail pouvait avoir une utilité, ce serait peut-être celle de nous mettre en garde contre une soumission qui nous guette tous. Non pas celle des femmes vis-à-vis des hommes en regagnant leurs foyers voilées (touchée ! C’est plus fort que moi…) ; non pas celle d’une population française qui a encore tout récemment montré son profond et magnifique attachement aux valeurs de la laïcité et de la liberté d’expression.

Non. Je pense plutôt à cette soumission qui se rapproche davantage du défaitisme des vénézuéliens, celle qui détourne les citoyens des urnes, celle qui fait perdre de vue que nous avons tous la capacité et même la responsabilité de jouer un rôle –aussi modeste soit-il- dans l’élaboration du sens pour notre présent et la construction de l’avenir, individuel et collectif, celle qui lentement mais sûrement grignote et finit par détruire le lien social : la soumission au pessimisme.

La France a les moyens, les ressources et le courage de faire face aux enjeux et les défis qui sont les leurs, les réformes structurelles nécessaires. D’ailleurs, si la classe politique actuelle et à venir d’immenses responsabilités dans de nombreux chantiers, la responsabilité face aux fractures sociales sont, elles, collectives. Et d’ailleurs à ce sujet, beaucoup d’acteurs locaux et de la société civile n’ont attendu ni les attentats de début janvier, ni le discours aux mots enfin justes du Premier Ministre sur une réalité niée depuis trop longtemps, pour se mettre au travail sur le terrain de l’intégration.

Pourtant, le danger de la soumission au panurgisme, incarnée par la majorité silencieuse ou à la croyance aveugle, non pas en un quelconque dieu, mais en une personnalité politique messianique et à fortiori populiste, ne sont jamais très loin. Accordons cela à M. Houellebecq cette fois.

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